Bechstein – Histoire et tradition
Des pianos d'excellence depuis 1853. Découvrez l'histoire de l'entreprise, l'histoire d'un succès.
L’après-guerre à Berlin : vue de la manufacture C. Bechstein de la Reichenberger Strasse
Tout est à recommencer
La Seconde Guerre mondiale est une catastrophe pour Bechstein comme pour toute l’Allemagne. Berlin est une cible privilégiée des bombardements anglo-américains, qui détruisent non seulement la manufacture de la Reichenberger Strasse, mais aussi la quasi-totalité du stock de bois de l’entreprise.
Après la fin des hostilités, les autorités d’occupation américaines réquisitionnent ce qui reste des capacités de production Bechstein et placent l’entreprise sous tutelle jusqu’en 1951. Les actions d’Helene Bechstein, dont héritent ses enfants Liselotte et Edwin Otto après sa mort, demeurent toutefois sous contrôle américain. En 1963, la plupart d’entre elles — ainsi que des actions de la Golddiskontbank — deviennent propriété du fabricant de pianos Baldwin, basé à Cincinnati. Edwin Otto Bechstein, qui détient encore vingt-cinq pour cent des actions de l’entreprise, les vendra finalement à Baldwin dans les années 1970.
Dans l’immédiat après-guerre, les autorités d’occupation américaines imposent à Bechstein d’utiliser le bois qui lui reste pour fabriquer des cercueils, ce qui n’est sûrement pas dépourvu d’arrière-pensée symbolique. La politique de l’occupant US poursuit alors un double objectif : d’une part « rééduquer » les Allemands et les conduire vers la démocratie ; d’autre part permettre l’exploitation des brevets allemands par l’industrie civile et militaire des États-Unis, tout en ouvrant le marché allemand aux produits américains.
Deux photos figurant des scènes de « musique durant la guerre », célèbres dans le monde entier et faisant désormais partie de la mémoire collective, en disent long sur l’état d’esprit de l’époque. La première montre un soldat américain négligemment appuyé sur un piano à queue couvert de poussière — l’instrument de Wagner trouvé dans la villa Wahnfried après la prise de Bayreuth par l’armée US. Sur la seconde, on voit des GI qui chantent autour d’un piano droit — le modèle « Victory Vertical », construit spécialement par Steinway durant la guerre pour l’agrément des troupes combattantes. On comprend que dans ces conditions, il ne va pas être facile pour Bechstein de prendre un nouveau départ.
Un nouveau départ difficile
L’entreprise ne peut recommencer à produire normalement qu’en décembre 1951, et cela après son installation dans de nouveaux locaux d’une surface totale de huit mille mètres carrés. Dans le cadre du plan Marshall, Bechstein a finalement bénéficié de crédits lui permettant d’acheter des machines et de l’outillage modernes. En dépit des dommages de guerre, l’entreprise possède encore une précieuse matière première : du bois coupé dans les années 1930, notamment un stock en provenance de Roumanie qui va lui permettre de fabriquer sommiers et tables d’harmonie.
Deux ans plus tard, Bechstein célèbre en grande pompe son centenaire au Titaniapalast, salle qui héberge à cette époque l’Orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Wilhelm Furtwängler. Le temps fort des festivités est le concert donné le 21 novembre 1953 par Wilhelm Backhaus, qui joue alors cinq œuvres de Beethoven dont la Sonate n° 32, opus 111, pièce particulièrement profonde.
Les ventes restent relativement modestes dans les premiers temps, mais les instruments retrouvent d’emblée la qualité ayant fait leur renommée. En 1954, le chef d’orchestre Sergiu Celibidache achète un quart-de-queue pour sa résidence de Mexico… et devient immédiatement fan de la marque. Et en 1957, le troisième Bechstein exporté au Japon depuis la fin de la guerre est acheté par Yamaha, qui l’utilise dans sa propre salle de concert.
La conjoncture du miracle économique est si porteuse que la direction de l’entreprise décide dès octobre 1954 de construire une seconde manufacture. Rappelons que quelques mois plus tard, la Déclaration de Messine ouvrira la voie menant aux traités fondateurs de la Communauté économique européenne. Et lorsque le nouveau site de production de Karlsruhe-Killisfeld est finalement inauguré en octobre 1959, la CEE — ancêtre de l’actuelle Union européenne — est devenue réalité depuis deux ans après la signature du traité de Rome. La décision de construire cette nouvelle unité de production d’une surface totale de 1800 mètres carrés s’avère d’autant plus juste que Berlin-Ouest se trouve coupé du territoire de la République fédérale après la construction du Mur en août 1961. Avec pour conséquence principale un cruel manque de personnel qualifié dans l’ancienne capitale du Reich.
À la fin des années 1960, les sites de Berlin et Karlsruhe produisent ensem-ble environ un millier d’instruments par an et réalisent un chiffre d’affaires annuel de 4,5 millions de deutschemarks. Devant ces bons résultats, la direction décide d’ouvrir un troisième site à Eschelbronn, également dans le Bade-Wurtemberg. Bechstein exporte alors plus de la moitié de sa production. Les clients, toutefois, doivent attendre au moins six mois la livraison du piano qu’ils commandent.